Un nouveau-né qui ne fait pas ses nuits, c’est normal. Mais quand, après plusieurs mois, le tout-petit continue à dormir très peu, les parents épuisés commencent à désespérer. Explications et conseils de Valérie Fontaine et Cristina Exhenry, spécialistes du sommeil infantile.
Dix-neuf mois. C’est l’âge du second enfant de Clémence, déjà maman d’un aîné de six ans. Mais c’est aussi la période durant laquelle celle-ci n’a dormi pour l’instant que deux à trois heures par nuit. Additionné par le nombre de nuits (environ 570), calculez le nombre d’heures qui lui manquent à présent…. «Depuis sa naissance, mon cadet a très peu dormi la nuit, sans faire de sieste la journée, explique cette maman épuisée. Je l’ai allaité jusqu’à ce qu’il ait un an, mais du coup, il venait sans cesse téter. Puis je l’ai installé dans un nid à côté de moi, dans lequel il ne s’endormait qu’en me pinçant la main… »
Depuis, son fils a gardé l’habitude de s’endormir uniquement de cette manière. Et de se réveiller entre 23h et minuit, pour se rendormir puis se réveiller à 5h du matin actuellement – mais 3h il y encore peu… «Je suis pourtant psychologue FSP spécialisée chez les enfants et les adolescents, mais je n’ai jamais rencontré une famille vivant une situation aussi extrême, souligne Clémence. Je parle souvent avec des mamans qui sont de grosses dormeuses et sont donc forcément vite en manque de sommeil lorsque leur enfant dort peu. Pour ma part, cinq heures de sommeil me suffisent. Mais je rentre très tard du travail et n’ai donc que peu de repos avant que mon fils ne se réveille une première fois. La problématique se pose dans la durée: je n’arrive plus à sortir la tête de l’eau mais j’ai aussi mon aîné, et je dois donc continuer…»
Lui apprendre à s’endormir seul
Bien sûr, on le sait tous, un nouveau-né ne fait pas ses nuits avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Mais quand le temps passe et que son enfant ne dort toujours pas, comment gérer la situation? «Avant qu’il ait trois ou quatre mois, il n’y a pas de raison de s’affoler, déclare Valérie Fontaine, infirmière en pédiatrie indépendante spécialisée dans les troubles du sommeil chez l’enfant. Mais on remarque qu’il y a ensuite souvent des problèmes de sommeil, car on l’a déjà habitué à s’endormir en étant bercé, au sein, en poussette ou en voiture. Le sommeil est un apprentissage comme un autre. Or, je trouve que l’on n’accompagne pas assez les parents à ce sujet: il est primordial de leur expliquer qu’à un moment donné, l’enfant doit apprendre à s’endormir seul! Sinon il aura toujours besoin des mêmes conditions pour s’endormir et se rendormir…»
Pour aider les familles sur le Canton de Vaud, Valérie Fontaine a rapidement dû s’entourer de trois collègues: Mary-Claude Martin, Corinne Ghaber et Emmanuelle Bonard. Elles ont ainsi créé un regroupement appelé CASEF (Conseil Accompagnement et Soutien à l’Enfant et sa Famille).
Toutes quatre donnent les conseils suivants:
– Aider l’enfant à trouver son rythme en mettant en place des rituels durant la journée et avant le coucher. «On entend souvent dire que «l’enfant trouvera lui-même son rythme». Mais c’est souvent difficile, avec les rythmes d’aujourd’hui. Et comment les parents feront-ils pour s’adapter à cela quand ils devront recommencer à travailler ?» s’interroge la spécialiste.
– A partir de 3 mois, faire en sorte que son bébé ne s’endorme pas avec un moyen qu’il ne peut pas reproduire lui-même.
– Soutenir l’enfant dans son endormissement, en lui expliquant qu’il est temps de dormir, qu’on n’est pas loin et que ça va aller, et l’accompagner un moment: musique courte, voix, lolette… puis partir. Quitte à le laisser ensuite pleurer une dizaine de minutes. «Beaucoup de parents ont peur de laisser pleurer leur enfant, entre autre parce que des articles non scientifiques ont affirmé que cela l’amène à se sentir abandonné. Or, ce n’est pas le cas si le bébé se sent accompagné, explique Valérie Fontaine. Beaucoup de choses sont dites sur internet et les parents ne savent plus comment faire pour bien faire. Cependant, il est nécessaire de revenir à une attitude cohérente et d’être à l’écoute des émotions de l’enfant, tout en lui mettant un cadre.»
– Laisser le papa se lever! «Lors des entretiens, j’encourage les deux parents à être présents. Ils peuvent ainsi entendre le même discours et également faire part de leurs positions respectives, souligne l’infirmière en pédiatrie. Le papa est aussi invité à s’engager durant la nuit. Le fait que ce soit lui qui vienne et que l’enfant ne sente pas l’odeur du lait maternel permet à ce dernier d’apprendre à avoir une distance avec la maman. En général, les papas sont très preneurs, car cela leur permet d’avoir aussi leur place auprès de leur enfant et leur importance.»
– Persévérer lorsqu’on change une habitude de l’enfant. «On ne résout pas en deux jours six ou sept mois d’endormissement au sein, par exemple! souligne Valérie Fontaine. Il s’agit de s’accrocher et de persévérer pour mettre en place un changement efficace et durable. »
L’importance d’une attitude cohérente et persévérante
« Mais pour ce faire, il faut que les parents soient vraiment convaincus de la démarche!, complète la pédiatre genevoise Cristina Exhenry. Car un enfant qui doit changer ses habitudes réagit très fort, et peut aller jusqu’à vomir, se taper la tête ou faire des spasmes du sanglot.». Spécialiste du sommeil des enfants et adolescents, cette dernière remarque pour sa part «une hécatombe de problèmes de sommeil chez les tout-petits ces cinq dernières années», tout en déplorant que la majorité des parents venus la consulter s’avouent ensuite incapables de mettre en place les changements conseillés. «Chez tout le monde, le sommeil est une succession de cycles entrecoupés de micro-réveils, explique-t-elle. Le tout-petit fait des cycles très courts et doit donc peu à peu apprendre à gérer ces réveils.»
Le problème, c’est qu’en l’entendant bouger ou gémir, beaucoup de parents réagissent trop vite et se précipitent pour le calmer – en le réveillant complètement. «Si les parents ne supportent pas de laisser pleurer un peu leur enfant, ils doivent alors en théorie être présents 24h/24! Résultat, ils sont de plus en plus épuisés et deviennent esclaves de ce dernier, tandis que celui-ci, habitué à avoir tout le temps quelqu’un près de lui, pique des crises quand on le laisse. Il est donc essentiel de mettre en place de bonnes habitudes, car cela fait partie de l’éducation.»
Ses conseils aux parents débordés:
– Aider son bébé à réguler ses journées et favoriser une distribution jour/nuit équivalente par le biais des repas et des activités.
– Respecter un rythme constant, de manière à ce que l’enfant puisse avoir des repères.
– Lui apprendre à s’endormir dans son lit, et non pas dans celui des parents. «Les tout premiers mois, on peut le mettre dans un petit lit dans la chambre parentale. Mais le bébé devra apprendre rapidement à dormir dans son propre espace, car les parents ont eux aussi besoin de leur intimité.», souligne la pédiatre.
– Travailler sur les rituels à l’endormissement, puis les rituels nocturnes, dans le but de diminuer peu à peu l’accompagnement pour ensuite l’arrêter.
– En tant que parents, être cohérents dans la démarche et «travailler les deux dans la même direction» : «dans un couple, il y en a toujours un qui est plus émotionnel et l’autre plus rationnel, souligne Cristina Exhenry. L’émotif est celui qui aura le plus de peine à accompagner l’enfant dans le pleur, et c’est donc conseillé qu’il laisse l’autre prendre la situation en charge si nécessaire ».
Pas de solution miracle
De son côté, Clémence avoue s’«être posé plein de questions et s’être demandé ce qu’elle avait fait de faux». «Je me suis renseignée, et j’ai découvert que cela s’appelle le «syndrôme des bébés babi»: ce sont des enfants qui dorment très peu et vivent intensément les choses. C’est intéressant de pouvoir mettre des mots sur le phénomène, et de voir que d’autres vivent la même situation que nous, car on se sent très seule au fil des mois. Quand on demande conseil autour de soi, chacun y va de son idée: il faut gaver son bébé, le faire sortir davantage, mais on réalise vite que rien ne fonctionne. Pour ma part, j’ai fait tout ce qui était possible et dépensé beaucoup d’argent pour acheter divers gadgets pour l’aider à dormir, je suis allée avec lui chez un kiné, un rebouteux, un osthéopathe… Finalement, une collègue m’a proposé de le traiter par l’homéopathie et je me suis dit que c’était la dernière chance. Depuis, il est un peu plus calme et il dort un peu plus qu’avant. Je crois que la meilleure méthode, finalement, c’est de se faire confiance et de s’écouter: on sait ce qui est le mieux pour notre enfant et on essaie toujours de faire de notre mieux.»
Clémence craignait particulièrement que le sommeil réduit de son enfant ait des répercussions sur sa croissance ou sa santé. «Mais au contraire, il est très avancé pour son âge et grandit bien. Quant à moi, je trouve que le corps humain est quand même bien fait, car j’arrive encore à tenir le coup. C’est une période particulière, mais j’espère quand même qu’elle va se terminer bientôt…»
Face à des situations comme celle de Clémence, Valérie Fontaine et Cristina Exhenry insistent sur l’importance que les parents ne restent pas seuls, mais cherchent du soutien auprès de professionnels. Si les pédiatres, généralement submergés, n’ont pas le temps de s’occuper de ce type de problème, un coach familial peut apporter un soutien précieux. Et les spécialistes du sommeil, des conseils concrets qui permettront peut-être de calmer le jeu: «En trois ou quatre heures de suivi, on peut déjà apporter beaucoup de changements.», conclut ainsi Valérie Fontaine.
Autres informations et contacts : http://casef.ch/ et http://www.pediatre-ge.ch/fr/repertoire/119-exhenry et https://www.happyfamilies.ch